Jacques Darriulat

 

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            Conférence prononcée en 1999, devant l'UFR de philosophie de Paris IV ; reprise et développée pour le colloque "L'Invention de l'esthétique" qui eut lieu à la Sorbonne en novembre 2000 ; enfin publiée dans la Revue philosophique de la France et de l'étranger (n° 2 - avril / juin 2007, p. 157-176).

            Mise en ligne : 4 / 2 / 08

Kant et l’esthétique du dessin

 

            Au paragraphe 14 de la Critique de la faculté de juger, Kant affirme la prééminence du dessin sur la couleur pour l’appréciation de la beauté : « Dans la peinture, dans la sculpture et même dans tous les arts plastiques, en architecture, dans l’art des jardins, dans la mesure où ce sont là des beaux-arts, le dessin est l’élément essentiel (ist die Zeichnung das Wesentliche) : en lui, ce n’est pas ce qui est plaisant dans la sensation (Empfindung) qui constitue le principe de tout ce qui est disposé en vue du goût, mais c’est simplement ce qui plaît par sa forme. Les couleurs, qui enluminent le tracé (Abriss), relèvent de l’attrait (Reiz) ; assurément peuvent-elles animer l’objet en lui-même pour la sensation, mais elles ne sauraient le rendre digne d’être regardé (auschauungswürdig) et beau : bien plutôt sont-elles dans la plupart des cas extrêmement limitées par ce que requiert la belle forme (schöne Form), et même là où l’on tolère l’attrait, c’est par la forme seule que les couleurs obtiennent leur noblesse. » Ce texte est un des rares passages de la troisième Critique qui soit invariablement cité par les historiens de l’art. Peu soucieux de la démarche kantienne, ils interprètent cette remarque de Kant comme un indice du goût qu’on nommera près d’un siècle plus tard « néoclassique » : réagissant en effet aux mignardises du style rococo qui domine la première moitié du siècle, et qui ne se refusait aucun « attrait » pour plaire et séduire, le néoclassicisme impose un art austère, inspiré, du moins le croit-il, de la vertu des anciens Romains, refusant de céder aux séductions de la couleur et substituant à l’élégance des courbes l’architecture rigoureuse des horizontales et des verticales (David, Le Serment des Horaces, 1784) : ce que Kant nomme ici « la dignité » (« digne d’être regardé ») et « la noblesse » des formes. Robert Rosenblum, dans son ouvrage pionnier pour la réhabilitation du néoclassicisme, Transformations in Late Eighteenth Century Art (1967) cite en note le texte de Kant, et le rapproche d’un commentaire que faisait en 1801 Schiller à l’adresse de Ludwig Tieck, à propos des tableaux du musée de Dresde : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que ces couleurs me donnent quelque chose de faux, puisque, selon que la lumière varie, ou selon que change le point de vue depuis lequel je les considère, elles changent justement de couleur ; le simple contour me donnerait une image bien plus fidèle. » (1). Rosenblum rapproche en outre ce purisme esthétique, qui veut réduire la forme au seul tracé du contour, des gravures très appréciées à la fin du siècle du sculpteur anglais John Flaxman, et surtout ses illustrations d’Homère (Rome, 1793) et de Dante (Rome, 1802) qui semblent sublimer les volumes d’un trait subtilement allusif, comme à la limite de la dissolution de la forme dans la pure blancheur. On ne saurait en effet ignorer l’influence de ces gravures sur l’évolution du goût à la charnière des deux siècles, purs dessins qui rompent avec une tradition narrative ou décorative, comme avec la technique des « hachures » pour le rendu des ombres, et dont August Wilhelm Schlegel fait un profond éloge dans un essai publié dans la revue l’Athenaeum, en 1799 (2). Hugh Honour, dans son excellente introduction Neo-Classicism (1968), reprend les mêmes idées, évoque l’art linéaire de Flaxman et rapproche à son tour le texte de Kant de celui de Schiller (3). Jean Starobinski, dans son bel essai 1789 : Les Emblèmes de la raison (1973), cite à son tour le texte de Kant en note et fait le même rapprochement avec la linéarité néoclassique (4). Le fait est d’autant plus remarquable que la troisième Critique est, dans sa démarche générale, ignorée des historiens de l’art qui semblent ne connaître que ce passage qu’ils interprètent surtout comme un effet du goût de l’époque.
            Une telle méthode, qui déchiffre le texte, non par le texte lui-même mais par le contexte, ne saurait être admise par un philosophe. Il faut cependant reconnaître qu’elle peut être fondée, et que certains passages semblent se prêter à cette interprétation. C’est ainsi que dans la Critique de la raison pure, dans les sections introductives à la théologie transcendantale (« L’Idéal de la raison pure »), Kant entreprend de distinguer l’Idéal de la raison de ces créations de l’imagination qu’on peut nommer, improprement il est vrai, des idéaux de la sensibilité : « Des créations de l’imagination au sujet desquelles personne ne peut donner aucune explication ni aucun concept intelligible, comme des monogrammes qui ne sont que des traits épars que ne détermine aucune règle qu’on puisse indiquer et qui forment en quelque sorte plutôt un dessin flottant (schwebende Zeichnung) au milieu d’expériences diverses qu’une image déterminée. Tels sont ceux que les peintres et les physionomistes (Physiognomen) prétendent avoir en tête, et qui doivent être comme une silhouette (Schattenbild, que Tremesaygues et Pacaud traduisent par fantôme) impossible à communiquer, de leurs productions, ou même de leurs appréciations. On peut les nommer, quoique improprement, des idéaux de la sensibilité parce qu’ils doivent être le modèle inaccessible d’intuitions empiriques possibles, sans fournir cependant aucune règle susceptible de définition et d’examen » (5). Texte difficile qui annonce à la fois le « dessin flottant » de l’idée-norme de la beauté (Critique de la faculté de juger, § 17) et les Idées esthétiques, dont aucun concept ne peut épuiser le contenu (l’idée-norme à l’inverse peut parfaitement être définie par un « canon », c’est-à-dire par une théorie des proportions), que suscite en foule le libre jeu de l’imagination et de l’entendement (§ 49) (6). Il est fort probable que la notion de « beau idéal », leitmotiv de la réflexion sur l’art à l’âge classique, ait incité Kant à distinguer, de l’idéal de la raison, un « idéal de la sensibilité » dont la finalité est esthétique, et non métaphysique. Il importe toutefois de distinguer ce monogramme de l’imagination empirique du « monogramme de l’imagination pure a priori », qui est « le schème des concepts sensibles (comme des figures dans l’espace) », et « au moyen duquel et d’après lequel les images sont d’abord possibles. » (« Schématisme des concepts purs de l’entendement ») (7). Le monogramme de l’imagination empirique est une image mentale (Idea) qui fait fonction de modèle pour le peintre, tandis que le monogramme de l’imagination pure est un schème, c’est-à-dire une méthode de construction, soit un acte de notre spontanéité, qu’on ne saurait assimiler, sans le réifier aussitôt, à une image ; en outre, et parce qu’il se construit par l’application de la catégorie au moyen de la détermination transcendantale du temps (schématisme du jugement déterminant), il est parfaitement susceptible d’une définition par concept (à l’inverse du monogramme de l’imagination empirique qui est inaccessible à toute « règle de définition ou d’examen », écrit ici Kant). Dans le texte plus haut cité, Kant rapporte donc l’art du dessin (« des traits épars », « un dessin flottant ») à l’image mentale non conceptualisable qui préexisterait dans l’esprit du peintre ou du physionomiste.
            Il semble ainsi se rattacher à une ancienne tradition néoplatonicienne qu’illustre, au début du XVIIe siècle, le théoricien maniériste Federico Zuccaro, président de l’Académie du Dessin à Rome, qui publie en 1607 L’Idea de’ Pittori, Scultori e Architetti. Dans cet ouvrage, il affirme que l’artiste est créateur à la ressemblance de Dieu, se laissant guider par un « dessin intérieur » (Disegno interno, disegno étant interprété par Zuccaro comme segno di dio in noi), qui est en son esprit comme une étincelle du feu divin (« scintilla della divinità ») (8). C’est encore une idée courante au XVIIIe siècle que le dessin est l’ombre portée d’une image mentale qui préexiste dans l’esprit de l’artiste. C’est ainsi que dans son Cours de peinture par principes (1708), Roger de Piles définit le dessin comme « la pensée d’un Tableau laquelle le Peintre met sur du papier ou sur de la toile, pour juger de l’image qu’il médite », et aussi comme « les justes mesures, les proportions et les contours que l’on peut dire imaginaires des objets visibles, qui n’ayant point de consistance que l’extrémité même des corps, résident véritablement et réellement dans l’esprit » (9). Par ailleurs, l’allusion faite par Kant aux physionomistes, ou plutôt aux physiognomonistes, se réfère explicitement à l’art de la silhouette, fort répandu à partir de 1760, vogue éphémère en France, mais beaucoup plus durable dans les pays germaniques et anglo-saxons : c’est ainsi que dans l’Anthropologie, Kant évoque « cette mode à laquelle Lavater [penseur et théologien suisse, auteur d’une Physiognomonie publiée en 1775-1778] avait donné tant d’extension avec ces silhouettes dont on avait pendant un temps fait une marchandise bon marché et appréciée », ce qui justifie parfaitement la traduction de Schattenbild par « silhouette » plutôt que par « fantôme » (10). A l’art trop mimétique du portrait, et trop souvent corrompu par la flatterie, Johann Kaspar Lavater préférait l’épure minimale de la silhouette, mieux apte à résumer le visage dans le trait du profil qui le caractérise : la silhouette est pour Lavater une image vraie parce qu’elle est faible, une image fidèle parce qu’elle a l’humilité de n’être qu’un « négatif, le contour d’une moitié de visage » (11). La silhouette, monogramme du visage humain, prend ainsi la valeur d’un document scientifique, et tend vers l’objectivité de la photographie. On sait que les profils à la silhouette, découpés dans un papier noirci et collés ensuite sur fond clair, sont ainsi nommés du nom d’Étienne de Silhouette, chansonné pour ses projets d’économie lorsqu’il fut ministre des Finances en 1759 (12). Dans le même sens, le « physionotrace », inventé en 1786 par Gilles-Louis Chrétien, était un appareil qui permettait de saisir mécaniquement la ressemblance par le trait du profil (13). On voit ainsi que le physionomiste est un silhouettiste, et que le dessin, ou « monogramme », est un art économe, une image pauvre mais exacte, réduite à sa plus simple expression mais objectivement rigoureuse, épure de l’idée dont l’ombre se porte sur le plan de la représentation.
            Cette expression de « monogramme » intrigue toutefois. Kant la tient peut-être de Johann Winckelmann qui remarque, au début de son Histoire de l’art chez les Anciens (1764) : « A l’égard de la peinture, les premiers tableaux étaient des Monogrammes, noms qu’Épicure donnait aux dieux, c’est-à-dire qu’ils offraient la simple délinéation de l’ombre de la figure humaine. De ces lignes et de ces formes, il devait résulter une figure qu’on nomme ordinairement Égyptienne » (14). Winckelmann se réfère ici à un passage du De Natura deorum de Cicéron (II, XXIII, 59), en lequel l’orateur romain rapporte que « Épicure a imaginé des dieux inactifs réduits à l’état d’esquisse, monogrammi dei ». C’est ainsi que le monogramme désigne la marque des effluves ténues qui émanent à chaque instant du corps des dieux, depuis les intermondes immensément éloignés où ils reposent en paix (15), engendrant une image anthropomorphique assez semblable à la perfection à jamais perdue, selon Winckelmann, des dieux de la Grèce, modèles de l’art (16). On comprend ainsi comment le dessin marque la trace d’une absence, image en voie d’effacement qui porte le deuil d’un modèle disparu (17). La fable, inlassablement reprise tout au long du siècle, de Dibutade, fille d’un potier de Corinthe, qui trace d’un trait le contour de l’ombre de son amant, sur le point de partir pour l’étranger, pense semblablement l’origine de la figure (18).
            Comme Rosenblum l’a bien montré, cette préférence pour le style dépouillé, qui accorde au dessin le pas sur la couleur, témoigne d’un certain primitivisme, ou archaïsme qui domine à la fin du XVIIIe siècle : dans le dessin au trait, on voyait l’expression d’une pureté stimulante, conforme aux origines linéaires à la fois de l’art grec et de l’art italien. Le dessin, origine et principe de l’unité de tous les arts, est lui-même un art originaire. Étudiant les vases grecs à figures noires et à figures rouges, Pierre-François d’Hancarville remarque en 1766 (Les Antiquités étrusques, grecques et romaines) que « la peinture à ses débuts ne présentait qu’un simple contour, lequel, étant ensuite rempli avec une couleur, donna le nom de monochrome à cette sorte de peinture », et établit un parallèle avec les premières œuvres des « primitifs » italiens (19). Si le dessin apparaît ainsi comme l’expression naturelle de l’homme originel, ou « sauvage » — mythe omniprésent dans le siècle d’un goût naïf que la civilisation n’aurait pas encore corrompu — inversement la couleur introduit dans la représentation un « attrait » que Kant n’hésite pas à qualifier de « barbare » : en effet, la proposition déjà citée selon laquelle « les couleurs, qui enluminent le tracé (Abriss) relèvent de l’attrait » est préparée au paragraphe précédent, le paragraphe 13, par cette formule : « Le goût demeure toujours barbare (barbarisch) quand il a besoin de mêler à la satisfaction les attraits et les émotions (Reize und Rührungen) » (20). Il faut en effet distinguer entre le primitif, qui laisse enfouis ses talents sans prendre la peine de les cultiver, à l’exemple des insulaires des mers du Sud (Fondation de la métaphysique des mœurs, deuxième section) (21) qui, selon le témoignage de Bougainville de retour d’Otaïti, vivent à peu près comme végétaient, dans la fable, les bergers d’Arcadie ; le sauvage, sublime quand il est guerrier, mais sensible au beau par la naïveté qui préserve en lui l’intégrité du goût (22); et enfin le barbare, qui est un sauvage dont le sublime courage (§ 28) peut se pervertir en férocité (23), et le sentiment naïf du beau se laisser corrompre par l’attrait du clinquant, du brillant et du tape-à-l’œil, dépravant la simplicité de la nature par la surcharge de l’ornement et de la parure. A la naïveté du dessin, monogramme de la première admiration, expression naïve du sentiment, il faut donc opposer la séduction vulgaire de la couleur, qui en rajoute pour mieux plaire. A la pureté du trait, s’oppose ainsi le fard auquel recourt l’attrait. En ce sens, le privilège du dessin sur la couleur reposerait sur des principes assez semblables à ceux dont se réclamait, au siècle précédent, la querelle du coloris, qui opposait à l’Académie les poussinistes, sous l’autorité de Charles Le Brun, aux rubénistes, conduits par Roger de Piles. Cette fois encore, le texte de Kant s’expliquerait non par lui-même, mais par l’histoire du goût dont il porterait implicitement la marque.
            Il faut pourtant répéter qu’une telle lecture, qui réfère le texte au hors-texte, pour éclairante qu’elle puisse être quelquefois, ne peut satisfaire le philosophe. En premier lieu, on ne saurait dénier sans examen, à un esprit du calibre de celui de Kant, l’entière responsabilité de sa propre pensée. En second lieu, le primat du dessin affirmé par Kant trouve dans le siècle d’étranges confirmations qui semblent nous indiquer qu’il y a là une vérité que nous ne savons peut-être pas encore penser. C’est ainsi que lorsque Kant précise (§ 14) que les couleurs pures « rendent la forme plus exactement, plus précisément et plus complètement accessible à l’intuition », on ne peut s’empêcher de penser à l’art de l’aquarelle, oublié depuis les remarquables études de paysages et d’animaux par Dürer, et qui connaît un merveilleux renouveau au XVIIIe siècle, avec les croquis de Gabriel de Saint-Aubin ou les somptueux paysages de Moreau l’Aîné. Déjà, le lavis d’encre brune, dès le XVIe siècle, et surtout au XVIIe siècle, rehaussait les contours du dessin à la plume ou à la pierre noire. Il est encore un art qui connaît au XVIIIe siècle un prodigieux développement, et qui réalise en quelque sorte le paradoxe d’une peinture dessinée, c’est celui du pastel. On comprend ainsi que l’opposition du dessin et de la couleur est moins mécanique qu’on pourrait le croire, et qu’un dessin peut parfaitement être coloré, rehaussé d’un lavis ou d’une aquarelle, sans cesser cependant de demeurer un dessin. Le dessin ne trouve donc pas son essence dans l’absence de couleurs, mais plutôt dans le fait que la couleur n’a ici d’autre fonction que de souligner l’exactitude du trait et de mettre en valeur la « forme ». C’est ainsi que le dessin le plus pratiqué au XVIIIe siècle, est un dessin coloré dit « des trois crayons », la pierre noire, la sanguine et la craie blanche. Watteau obtiendra par cette technique de superbes effets, la craie blanche donnant le relief par le jeu des reflets et la sanguine évoquant le volume de la chair sous le trait du crayon. Enfin, on s’accorde à reconnaître que le XVIIIe siècle est l’âge d’or de l’art du dessin, avec les merveilleuses esquisses de Watteau et de Fragonard, mais aussi de Boucher et de Greuze. Tandis que dans les siècles précédents, le dessin n’était qu’une étude préparatoire pour l’œuvre peinte (le croquis, le modello et enfin le carton) (24), c’est au XVIIIe siècle qu’il devient un art autonome et se suffisant à lui-même : on l’acquiert pour lui-même (Watelet et surtout Mariette — près de 20 000 dessins — sont alors des collectionneurs passionnés), et Watteau, auquel on doit des milliers de dessins, multiplie sur une même feuille les visages et les attitudes d’un même modèle, non en vue d’une peinture à venir, mais pour le seul plaisir de prélever d’un trait une tournure ou une expression fugitive. C’est peut-être pour cette raison qu’au XVIIIe siècle, l’orthographe « dessein », qui désigne à la fois le croquis et le projet, disparaît pour laisser la place à « dessin », distinguant ainsi clairement l’œuvre désormais autonome de ce qui n’est qu’un projet pour un tableau non encore réalisé, comme le remarque, s’étonnant de cette double orthographe, La Font de Saint-Yenne dès 1752 (25). On perçoit ainsi combien il est superficiel d’expliquer la préférence pour le dessin par le goût de l’époque, tant le goût, par l’énigme de ses transformations, nécessite lui-même une explication préalable. C’est en effet un fait qui demande explication que cet avènement, au XVIIIe siècle, de la souveraineté du dessin. Si bien que, plutôt que de rapporter le texte de Kant à cet épanouissement, il serait inversement judicieux de chercher les raisons de cette nouvelle orientation du goût dans la révolution esthétique accomplie par la troisième Critique elle-même.
            Revenons au § 14. Kant y justifie sa préférence pour le dessin par la soumission de la couleur aux exigences de la belle forme (die schöne Form) : « Les couleurs sont dans la plupart des cas extrêmement limitées par ce que requiert la belle forme, et même là où l’on tolère l’attrait, c’est par la forme seule que les couleurs obtiennent leur noblesse. » Au matérialisme du barbare, qui se laisse corrompre par l’attraction que l’agréable exerce sur le goût, s’oppose ainsi le formalisme, mais aussi l’intellectualisme d’un goût pur, c’est-à-dire désintéressé, qui a su préserver une admiration innocente pour la beauté des formes. Le sauvage, cette créature hypothétique qui hante le XVIIIe siècle, est donc selon Kant un intellectuel, et la couleur est un fard qui vise à séduire et gâte le pur plaisir esthétique en intéressant à l’existence de l’objet, c’est-à-dire à sa possession et à sa consommation. Paragraphe 42, « De l’intérêt intellectuel concernant le beau » : « Celui qui, dans la solitude [...] contemple la belle forme d’une fleur sauvage, d’un oiseau, d’un insecte, etc., afin de les admirer, de les aimer [...] celui-là seul prend un intérêt immédiat et en vérité intellectuel à la beauté de la nature. ».
            La suite du paragraphe 14, d’une redoutable difficulté dans le détail de laquelle nous ne pouvons entrer ici, esquisse le système des beaux-arts que Kant développera plus méthodiquement aux § 51 à 53, mais en se fondant sur la structure de la subjectivité transcendantale (arts de l’espace et arts du temps) et non, comme il le fait plus loin, sur l’expression des Idées esthétiques, en vue de leur communication. Cette importance accordée à la communicabilité du sentiment esthétique peut paraître paradoxale de la part d’un penseur qui fait du rêveur solitaire, sauvage naïvement intellectuel, le témoin privilégié de la beauté. Il faut sans doute comprendre que « celui qui, dans la solitude, contemple la belle forme d’une fleur sauvage, d’un oiseau, d’un insecte...» (§ 42), demeurera d’autant moins seul que sa solitude est déjà habitée d’un dialogue muet, ou du moins de son illusion, avec la nature elle-même. Aussi lui faut-il se transporter vers son semblable, et vérifier par la communication la réalité de la « faveur » qui lui fut accordée dans la solitude. Les arts sont encore indifférenciés dans l’admiration naïve et originaire de la forme surgissant, et ne se différencient qu’en se déclinant selon les diverses modalités de la communication : le système des beaux-arts épousera la syntaxe qui structure les relations que les hommes noueront les uns avec les autres. Kant fonde en effet sa division des beaux-arts (§ 51)  sur « la forme de l’expression dont usent les hommes en parlant afin de se communiquer aussi parfaitement que possible les uns aux autres non seulement leurs concepts mais aussi leurs sensations. » Peut-être n’a-t-on pas assez remarqué combien, dans son « essai » (26) pour diviser architectoniquement les beaux arts par le besoin que nous éprouvons de communiquer nos idées esthétiques, Kant reste tributaire de Condillac. La division des arts répond en effet aux divers modes de la communication dont l’Essai sur l’origine des connaissances humaines (1746) avait tenté la classification : la danse est la forme dérivée du premier langage d’action (seconde partie, section première, chap. I), la mimique ou pantomime est issue de la gestuelle de l’orateur (ibid. chap. IV), la musique s’engendre de la prosodie, c’est-à-dire de l’expression poétique (ibid. chap. V), et le dessin est la forme primitive de l’écriture : « Le moyen le plus naturel fut donc de dessiner les images des choses. Pour exprimer les idées d’un homme ou d’un cheval, on représenta la forme de l’un ou de l’autre, et le premier essai de l’écriture ne fut qu’une simple peinture. » (ibid. chap. XIII) (27). On sait par ailleurs comment, dans l’Analytique du Beau, le moment de la modalité établit la communicabilité du sentiment esthétique (le sentiment esthétique est en même temps le sentiment de sa propre nécessité), fondant ainsi une société qui est ajustée à la mesure de notre condition, ni simplement logique comme la cité savante, ni héroïquement suprasensible comme la république des libertés, ou règne des fins.
            Il paraît alors possible de comprendre le privilège du dessin sur la couleur, de la forme sur la matière, de l’épure sur l’attrait, par la fonction communicationnelle de la représentation esthétique : avec le progrès de la civilisation, le signifiant tend à s’effacer devant le signifié, l’idole se supprime dans l’icône, l’image dans le symbole et l’éclat de la couleur s’efface pour laisser la place au formalisme du dessin. C’est ainsi que le mime revêt un habit blanc, comme pour mieux abstraire la réalité de sa présence physique de la figure que ses gestes profilent. La traduction en 1744 de l’Essai sur les Hiéroglyphes des Égyptiens de l’évêque anglais Warburton, avec lequel Condillac dit s’être heureusement rencontré (II, 1, chap. XIII, « De l’écriture ») (28), a montré comment le premier dessin, figuratif, se stylise et se formalise dans l’hiéroglyphe égyptien comme dans l’idéogramme chinois. Ce serait ainsi le travail de la sociabilité qui raffinerait par abstraction les véhicules de la communication, et discréditerait progressivement les couleurs en donnant toute son importance au dessin. Le § 41 de la troisième Critique, « De l’intérêt empirique concernant le beau », montre en effet comment le raffinement de la civilisation, qui est fonction du degré de la communication, se détache progressivement des attraits pour ne considérer que la pure beauté des formes : « C’est uniquement dans la société qu’il vient à l’esprit de l’homme de n’être pas simplement homme, mais d’être aussi à sa manière un homme raffiné (c’est là le début de la civilisation) : car tel est le jugement que l’on porte sur celui qui possède l’inclination et l’aptitude à communiquer son plaisir à d’autres et qu’un objet ne saurait satisfaire quand il ne peut ressentir en commun avec d’autres la satisfaction qu’il y prend [...] Et sans doute ne s’est-il ainsi agi au commencement que d’attraits, par exemple des couleurs pour se peindre (le rocou chez les Caraïbes et le cinabre chez les Iroquois), ou des fleurs, des coquillages, des plumes d’oiseaux joliment colorées, mais avec le temps ce sont aussi de belles formes (comme celles des canots, des vêtements, etc.), ne procurant aucun contentement, c’est-à-dire aucune satisfaction de jouissance, qui prirent de l’importance dans la société et se trouvèrent liées à un grand intérêt ; jusqu’à ce qu’enfin la civilisation, parvenue à son plus haut degré, fasse de ces formes presque le but principal de l’inclination raffinée et n’accorde de valeur aux sensations que dans la mesure où elles se peuvent universellement communiquer. » L’histoire serait ainsi circulaire : à l’admiration pure et désintéressée du sauvage pour les belles formes succède l’attrait grossier du barbare pour le brillant des couleurs ; il faut alors la longue éducation de la civilisation pour revenir, mais cette fois en connaisseur et non plus en naïf, à l’appréciation de la ligne pure et au goût pour la représentation allusive du dessin, cet art de la litote (29). Progressivement, le dessin doit donc l’emporter sur les séductions du chromatisme, et la composition musicale sur l’effet purement sonore du timbre.
            Cette interprétation ne saurait pourtant suffire. En effet, si l’on peut penser, en suivant Warburton repris par Condillac, que l’écriture tend à styliser la figuration et finalement à l’abstraire sinon dans l’arbitraire du signe, du moins dans le dessin du symbole, il reste, et quelque soit l’importance de la communicabilité, donc de la sociabilité, dans le sentiment esthétique, que le beau comme le sublime, dans la nature aussi bien que dans l’art, ne sauraient être assimilés à une écriture, et moins encore à un langage. Certes, que le beau plaise universellement sans concept ne contrarie nullement sa vocation à être communiqué, mais au contraire la favorise, puisqu’il faut comprendre qu’aucun concept définissable ne saurait épuiser, c’est-à-dire être parfaitement adéquat à l’Idée esthétique dont l’événement de la beauté nous fait, par faveur, la présentation, et qu’en conséquence la beauté est l’enjeu d’une conceptualisation indéfinie : Idée et non concept esthétique, puisque ici la représentation excède notre capacité à la comprendre, c’est-à-dire à la subsumer sous une règle ; discussion, et non dispute, qui ne prend fin qu’avec la lassitude du plaisir qu’elle engendre (seule la fatigue, non la démonstration, peut mettre un terme à l’entretien esthétique). Cependant, interpréter le phénomène esthétique dans les seuls termes de la communicabilité, c’est nécessairement le circonscrire dans l’horizon de l’intersubjectivité, et par conséquent du droit. En ce sens, la beauté serait l’affaire des hommes entre eux, et ne vaudrait que pour les hommes. S’il est vrai, comme l’écrit Kant au § 5, que « la beauté n’a de valeur que pour les hommes, c’est-à-dire des êtres d’une nature animale, mais cependant raisonnables », il reste que l’événement esthétique ne nous est nullement signifié, en vue d’une communication, par notre prochain, mais nous est au contraire incompréhensiblement donné, à l’occasion d’une rencontre ou d’un « hasard heureux » (ein glücklicher Zufall, Introd. V), par ce qui a l’apparence d’une faveur de la nature, même si, dans la finalité subjective du sentiment esthétique, « c’est nous qui accueillons la nature avec faveur, tandis qu’elle ne nous fait aucune faveur. » (§ 58 ; également note du § 67). En effet, c’est parce que nous regardons la nature avec faveur, c’est-à-dire selon l’orientation contemplative et désintéressée de l’attitude esthétique, que l’événement a quelque chance de se produire, la probabilité de la donation étant ici fonction de notre disponibilité à l’accueillir.
            Qu’est-ce, alors, qui nous est « communiqué »? Qui parle, dans le surgissement de la beauté comme dans le transport du sublime? On sait qu’au § 42, Kant émet l’hypothèse que le sentiment moral peut seul être considéré comme « la véritable élucidation du langage chiffré (Chiffreschrift) grâce auquel la nature s’adresse à nous par symboles (figürlich) dans ses belles formes », hypothèse dont il s’empresse pourtant de démontrer aussitôt l’insuffisance. Si en effet le beau est le symbole du bien moral (§ 59), non certes par sa forme objective mais par le sentiment vital qu’à cette occasion nous fait intérieurement éprouver le libre jeu de nos facultés, il demeure pourtant un événement esthétique, incapable de se hisser jusqu’au suprasensible, et contrairement à l’illusion qu’entretient le sentiment du sublime, emporté par le délire de son enthousiasme. L’élucidation morale de la beauté dissout le sensible dans l’intelligible, et perd ainsi le caractère spécifique de l’événement esthétique, qui réside en son irréductible et radieuse phénoménalité. « Élucider » la beauté, c’est la détruire puisqu’elle ne manifeste sa puissance qu’en manifestant aussi l’énigme de sa provenance, ou l’insoluble anonymat du donateur. Ainsi ne suis-je sensible au déploiement du chant qu’à la condition de ne pas le rapporter à l’intention d’un miméticien : le rossignol chante paradoxalement mieux que l’homme, parce que je ne saurai jamais ce que son chant veut dire à l’inverse de l’artiste avec lequel je peux toujours entrer en communication (il est vrai qu’il ne s’y prête que de mauvais gré, avec raison sans doute, tant ce qui se dit alors divertit, plutôt qu’il ne convertit, au fait esthétique). Il faut donc dire que le langage chiffré de la nature n’a de valeur esthétique que parce qu’il est indéchiffrable, hiéroglyphe si l’on veut, mais qu’il ne faut entendre ni selon l’interprétation d’Athanase Kircher (code secret destiné à préserver l’ésotérisme d’une révélation), ni selon celle de Warburton (figure synthétique de l’idée, qui en rend aisée la divulgation), mais plutôt à la façon du Diderot de la Lettre sur les sourds et muets (1751) qui définit le discours poétique comme « un tissu d’hiéroglyphes entassés les uns sur les autres » et qualifie la beauté poétique d’« emblème délié » et de « hiéroglyphe subtil » (30). Le hiéroglyphe esthétique n’est pas le signe d’un langage communicable, mais la splendeur d’une apparition singulière, dans l’espace et dans le temps, un absolu sensible qui ne vaut que par lui-même, et qui ne signifie rien, sinon la majesté de son seul avènement. Le langage chiffré de la nature non seulement ne signifie rien, mais encore se soucie si peu d’être communiqué qu’il est souverainement indifférent à la présence du récepteur : « Comment entend-on expliquer les raisons pour lesquelles la nature a partout répandu avec une si grande prodigalité la beauté, jusqu’au fond de l’océan où l’œil humain (pour lequel seul cependant cette beauté est conforme à une fin) n’accède que très rarement? » (§ 30). La beauté de la nature, par sa gratuité, par son incompréhensible luxuriance, n’est la suprême beauté que parce qu’elle ne signifie rien, et la beauté artiste ne peut atteindre une telle grâce qu’à la condition de s’abandonner à la pente de l’improvisation, c’est-à-dire de renoncer à exprimer ou à communiquer toute pensée délibérée : « Des fleurs, des dessins libres, des traits entrelacés sans intention les uns dans les autres, ce qu’on appelle des rinceaux, ne signifient rien (bedeuten nichts), ne dépendent d’aucun concept déterminé et plaisent pourtant. » (§ 4). Étrange langue, fût-elle chiffrée, qu’une langue qui ne signifie rien, étrange communication que celle qui se fonde sur l’absence du sens. La communicabilité ne saurait donc circonscrire le sentiment esthétique, puisque c’est en deçà de tout contrat social, dans l’incompréhensible magnificence de la nature que s’accomplit l’avènement de la beauté : « De nombreux oiseaux (le perroquet, le colibri, l’oiseau de paradis), une foule de crustacés marins sont en eux-mêmes des beautés, qui ne se rapportent à aucun objet déterminé quant à sa fin d’après des concepts, mais qui plaisent librement et pour elles-mêmes. Ainsi les dessins à la grecque, les rinceaux pour des encadrements ou sur des papiers peints, etc., ne signifient-ils rien en eux-mêmes : ils ne représentent rien, aucun objet sous un concept déterminé, et ce sont des beautés libres. » (§ 16).
            Parmi les nombreuses ruptures qui s’accomplissent dans la troisième Critique, il en est une, je crois fondamentale, qu’on n’a peut-être pas assez soulignée : alors que depuis la plus haute antiquité, la beauté du corps humain était l’archétype de toute beauté, il semble que pour Kant le chant du rossignol surpasse celui de l’homme et que le plumage du perroquet ou du colibri, sans parler des crustacés et des insectes, l’emportent sur la beauté du corps humain, pourtant dûment magnifiée depuis les siècles par la théorie des proportions (il est vrai que le Doryphore de Polyclète n’a guère plus de valeur esthétique, aux yeux de Kant, que la vache de Myron : § 17). La beauté de l’homme en effet adhère à sa destination morale, et ne saurait donc se prêter à la pure gratuité du jeu esthétique. C’est pourquoi il serait plaisant d’embellir le corps humain par des dessins tatoués, comme savent le faire les Néo-Zélandais, si ce n’était un homme ; de même qu’il serait agréable de couvrir d’ornements une église, si ce n’était un sanctuaire (ibid.).
            Ainsi peut-on dire que la Critique de la faculté de juger opère un renversement radical dans l’esthétique de la grâce : depuis Plotin, la grâce est le rayonnement de l’intelligible transfigurant le sensible. En ce sens, si l’animal n’est pas nécessairement dépourvu de grâce, par la lumière qui sort de ses yeux ou par la phosphorescence de certains insectes (Ennéade IV, traité 5, 7), c’est le visage humain, qu’illumine le sourire de l’intelligence, qui est plus que tout autre, doué de grâce (kharis) : aussi sa beauté se dissipe-t-elle quand la rigidité de la mort en fait un masque, tant la beauté tient au rayonnement de la grâce plutôt qu’à la symétrie des proportions (Ennéade VI, traité 7, 22). Dans un article qu’il fait paraître en 1759, De la grâce dans les œuvres de l’art, Winckelmann définit la grâce comme une impassibilité héroïque qui est d’autant plus forte qu’elle est moins expressive : « La grâce est comme l’eau qui est d’autant plus parfaite qu’elle a moins de goût » (31). La grâce s’identifie alors à la simplicité noble et à la calme grandeur des dieux de la Grèce, sur le modèle insurpassable de l’Apollon du Belvédère. La grâce est ainsi transcendante chez Plotin, elle est éthique chez Winckelmann, et tous deux s’accordent sur le fait que, parmi tous les vivants, l’homme est le plus apte à la grâce. Il semble qu’on trouve inversement chez Kant l’idée d’une grâce naturelle (au sens où l’on oppose, plutôt qu’on ne relie, la philosophie de la nature à la philosophie de l’esprit), qui non seulement ne réfléchit en rien la grandeur de l’esprit, mais encore que la conscience serait susceptible de dissiper, corrompant le geste de l’innocence par l’affectation de la pose. Si les bêtes surpassent l’homme en fait de grâce, c’est donc précisément parce qu’elles sont bêtes. On ne trouvera rien, dans la troisième Critique — et c’est un effet de la révolution esthétique qu’elle opère — sur la grâce, je veux dire la grâce objective qui embellit la forme, non bien entendu la grâce transcendantale qui est l’origine de la donation faite au sujet sensible (die Gunst). On peut s’en étonner quand on sait l’importance cardinale de cette notion dans la tradition de la philosophie de l’art. Sa connotation théologique, qui se réfugie à l’âge classique dans le très prisé « je ne sais quoi » de la critique, dissuade sans doute Kant d’y recourir. Pourtant, il évoque au § 58, « les fleurs, les configurations mêmes de tout ce qui pousse, la grâce (Zierlichkeit, qu’on traduirait mieux par « délicatesse », ou « gracilité ») des formations animales de toutes espèces », et précise même, quelques lignes plus loin, dans la même phrase, qu’il pense au « faisan, crustacés, insectes et jusqu’aux fleurs les plus communes. » C’est par cette grâce, purement esthétique, et non métaphysique ni morale — le bond d’un animal, la spirale d’un nautile, la courbe d’une branche — que la nature donne la règle au génie (§ 46 : die Regel, la règle et non les règles, comme l’écrivent tous les traducteurs ; extrême singularité de cette donation), le génie qui se saisit de la forme entr’aperçue, et compose l’œuvre par le motif du premier trait.
            On devine que se profile ici une tout autre généalogie du dessin, qui est en effet « l’essentiel » puisqu’il est la saisie originaire (apprehensio, ou « Auffasung ») que l’imagination douée de génie réussit à prélever sur la matière de la sensation, telles les flammes d’un feu ou les volutes d’un ruisseau (§ 22 ; « Remarque générale sur la première section de l’Analytique »). On se souvient que le pur jugement de goût (« le goût authentique, intègre et sérieux », comme l’écrit Kant au § 14) ne considère que la forme de l’objet et demeure indifférent à l’attrait de ses couleurs : « Un jugement de goût, sur lequel attrait et émotion n’ont aucune influence [...] et qui, en ce sens, a uniquement pour principe déterminant la finalité de la forme, est un pur jugement de goût. » (§ 13). Il est pourtant permis de s’étonner qu’une forme esthétique puisse être donnée à la sensibilité, puisque la première Critique nous a enseigné que seule la matière, par elle-même informe, de la sensation, est reçue par la sensibilité, et qu’il n’existe de forme que construite par la synthèse catégoriale de l’entendement. Selon le schématisme du jugement déterminant, il ne peut donc y avoir de forme qu’intellectuelle, c’est-à-dire issue de la spontanéité de l’entendement, et nullement esthétique. Cependant, à la faveur de la rencontre esthétique, l’imagination inspirée par le génie se saisit d’un trait, comme sait le faire le bon dessinateur, du dessin de la forme, et schématise ainsi sans concept (§ 35). Le dessin, art de l’instantané et de l’évanescent (et cela est plus vrai que jamais au XVIIIe siècle, où le dessin n’est pas seulement daté de l’année, mais aussi souvent du jour et même de l’heure), exprime adéquatement le trait du génie, il prélève sur l’originairement informe le contour exact d’une figure sur le point d’apparaître, et marque ainsi comme une victoire de la vie, qu’exprime le dynamisme de l’imagination, sur la facticité du donné brut (§ 54 : « un sentiment d’intensification de toute la vie de l’homme »). Tandis que l’art de la silhouette trace le contour d’un proche devenu lointain, l’art du dessin, tel que Kant nous permet de le penser, est au contraire le signe annonciateur d’une apparition, le prélude d’une épiphanie. Les rehauts de l’aquarelle suggèrent cette venue. Aussi le dessin est-il à la fois essentiel et originaire, puisqu’il réfléchit, plus que tout autre, l’incompréhensible éclosion du phénomène. Les visionnaires et les enthousiastes interprètent l’apparition comme un signe venu de l’au-delà (dans l’Essai sur les maladies de la tête de 1764, et dans les Rêves d’un visionnaire expliqués par des rêves métaphysiques de 1766, Kant faisait allusion à des formes vaguement humaines hallucinées dans l’état de semi-réveil dans les plis du rideau du lit ; bel exemple de schématisme sans concept, qui n’est pas sans faire songer au célèbre texte de Léonard) (32); mais le jugement esthétique, grâce à la critique qui lui a permis de se reconnaître lui-même, sait que l’apparition ne signifie rien, et qu’elle ne vaut que par l’intensité qualitative de son surgissement propre.
            Hiéroglyphe de l’immanence et non émissaire de la transcendance, le contour de la forme apparaissante ne dit ni ne communique rien, sinon l’incompréhensible et perpétuelle splendeur de la donation phénoménale. Le dessin enregistre ce tracé furtif. Toute addition, couleur, ornement ou parure, est alors superfétatoire en regard de cette forme dépouillée, à la fois saisie et saisissante, où se célèbre l’incompréhensible événement d’une grâce, ou faveur de la nature. La rose est sans pourquoi, et plus encore la tulipe que Kant semble lui préférer. La rose du paragraphe 8, qui exemplifie l’objet irréductiblement singulier du jugement esthétique, ne devient-elle pas la tulipe du § 33 ? La rose est sans doute une tache de couleur, une éclaboussure de carmin ; mais la tulipe est le dessin d’une forme, le contour d’un calice (33).

 

NOTES

1- Rosenblum, Robert, L’Art au XVIIIe siècle. Transformations et mutations, trad. S. Girard, Gérard Montfort, Saint-Pierre-de-Salerne, sd., p. 131 et notes 121 et 122, p. 219-220.
2- August Wilhelm Schlegel, Les Tableaux, suivi de Des Illustrations de poèmes et des silhouettes de John Flaxman, avec une préface de J. L. Nancy, Christian Bourgeois, Paris, 1988.
3- Hugh Honour, Le Néo-classicisme, trad. P. E. Dauzat, Le Livre de Poche, 1998, p. 137.
4- P. 177, n. 33.
5- Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, t. I : « Des premiers écrits à la Critique de la raison pure », Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, trad. Delamarre et Marty, p. 1195. Je référencerai désormais les textes de Kant à l’édition de la Pléiade ( tome I, 1980 ; tome II, 1985 et tome III, 1986.
6- Sur ce flottement de l’imagination, voir également Fichte, Doctrine de la science, 1794-95, II, § 4 ; éd. Philonenko, Vrin, 1980, p. 101 : « En général, l’imagination ne pose aucune limite fixe ; elle ne possède en effet aucun point d’appui fixe (Standpunkt) ; seule la raison pose quelque chose de fixe, par le fait qu’ellle seule fixe l’imagination elle-même. L’imagination est un pouvoir qui flotte (schwebt) entre la détermination et la non-détermination, entre le fini et l’infini. »
7- Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, « Pléiade », t. I, p. 887.
8- Sur Zuccari, voir Panofsky, Idea, 1983, p. 107-117. Également Anthony Blunt, la Théorie des arts en Italie de 1450 à 1600, 1966, chap. IX.
9- Cité par Marianne Roland-Michel, Le Dessin français au XVIIIe siècle, Paris, Office du livre, éd. Vilo, 1987, p. 9.
10- Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, « Pléiade », t. III, p. 1109.
11- « L’ombre découpée d’un homme, ou d’un visage humain est l’image la plus faible, la plus vide, mais en même temps, si la lumière est placée à bonne distance, si le visage est projeté sur une surface toute pure et s’il est bien parallèle à cette surface, elle peut être l’image la plus vraie et la plus fidèle qu’on puisse donner d’un homme ; l’image la plus faible, parce qu’il n’y a rien de positif, mais seulement un négatif, le contour d’une moitié de visage ; l’image la plus fidèle, parce que c’est une reproduction immédiate de la nature, comme aucun dessinateur, même le plus habile, en peut en faire une, à main libre, d’après le naturel. » Lavater, Physiognomische Fragmente, t. II, Leipzig, 1776, p. 90 ; La Physiognomonie, ou l’art de connaître les hommes d’après les traits de leur physionomie, leurs rapports avec les divers animaux, leurs penchants, etc. Traduction française par H. Bacharach, avec une notice de A. d’Albanès, réimp. L’Age d’Homme, 1998, p. 90. Sur la silhouette chez Lavater, et la signification qu’elle revêt aux yeux de l’époque, on lira « Le blanc du papier et le noir dessein de l’âme », dans Laurent Baridon et Martial Guédron, Corps et arts. Physionomies et physiologies dans les arts visuels, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 83-90.
12- Etienne de Silhouette est un physiocrate, proche de François Quesnay. L’influence de la pensée chinoise sur les physiocrates, qui se réclament de Confucius tel qu’on peut l’imaginer  par la lecture de Malebranche, a été peu étudiée. C’est ainsi par exemple qu’Etienne de Silhouette s’inspirait de ce qu’on nommait alors « la sagesse de la non-action » (wu-wei) qu’on prétendait emprunter à la pensée chinoise. Quesnay lui-même est l’auteur d’un ouvrage intitulé Despotisme de la Chine (voir Yves Citton, Portrait de l’économiste en physiocrate ; critique littéraire de l’économie politique, Harmattan, 2001). On peut deviner là l’origine d’un lien évident entre l’art de la silhouette et les « ombres chinoises », expression qui apparaît en 1776 avec les spectacles d’ombres et qui connaît un grand engouement lorsque François-Séraphin Dominique présente au Palais-Royal, en 1784, son spectacle de figures « à la silhouette ». Sur ce dernier thème, on lira Jac Remise, Pascale Remise et Regis van de Walle, Magie lumineuse ; du théâtre d’ombres à la lanterne magique, Paris, Balland, 1979, « Le théâtre de Séraphin », p. 250-277 et « Les silhouettes », p. 279-288. En outre, le rapprochement entre le contour de l’ombre et la Chine était suggéré dès le milieu du XVIIIe siècle par l’idée répandue d’une secrète ressemblance entre les Egyptiens (auxquels on attribue l’invention du dessin par la délinéation de l’ombre) et les Chinois. Winckelmann évoque ainsi « une sorte de conformation chinoise des traits physiques des Egyptiens, que l’on retrouve sur leurs statues mais aussi sur leurs obélisques et leurs pierres gravées » (Histoire de l’art dans l’antiquité, 1764, Pochothèque, 2005, p. 101 et note).
13- Martin Kemp, Science of art. Optical Themes in Western Art from Brunelleschi to Seurat, New Haven et Londres, 1990, p. 186. Lavater utilisait un appareil semblable : É. Pommier, Théories du portrait, 1998, p. 373, ill. n° 103. Voir également Jean Adhémar, La Gravure originale au XVIIIe siècle, Paris, Somogy, 1963, p. 217-218.
14- Johann Winckelmann, Histoire de l’art de l’Antiquité, traduite de l’allemand par M. Huber, Leipzig, 1781, t. I, p. 9-10 ; traduction Dominique Tassel, Paris, Librairie Générale Française, 2005, p. 77. Dans les conférences sur la peinture qu’il prononça à la Royal Academy entre 1801 et 1823, Johann Heinrich Füssli, reconstituant les origines de cet art, enseignait : « Les premiers essais en cet art furent les skiagrammes, de simples contours d’une ombre — semblables à ceux dont l’usage a été répandu auprès du vulgaire par les amateurs et autres parasites de la physionomie sous le nom de silhouettes [...] L’étape suivante de l’art fut le monogramme, délimitant les contours d’une figure sans lumière ni ombre, mais en y adjoignant certaines parties à l’intérieur des contours » (Conférences sur la peinture, Paris, ENSBA, 1974, p. 13).
15- Il faudrait rapprocher ce texte de Cicéron du début de la Lettre à Ménécée, où Épicure évoque « la notion commune du dieu tracée en nous ; ê koinê tou theou noêsis hupergraphê » (Épicure, Lettres et Maximes, texte établi et traduit par Marcel Conche, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 217). Sur cette notion de monogramme, Jackie Pigeaud (L’Art et le vivant, Paris, Gallimard, 1995, p. 87) cite une intéressante définition de Nonius Marcellus, grammairien du quatrième siècle de notre ère : « On appelle monogrammes des hommes particulièrement maigres et sans teint. Ce terme est tiré de la peinture qui, avant de recevoir un corps par les couleurs, est façonnée par une ombre. » (De compendiosa doctrina, 37, 11).
16- « On a raillé ces dieux d’Épicure qui, semblables aux hommes, habitent dans les intermondes du monde réel, n’ont pas de corps, mais un quasi-corps, n’ont pas de sang, mais un quasi-sang » [...] Et pourtant, ces dieux ne sont pas une invention d’Épicure. Ils ont existé. Ce sont les dieux plastiques de l’art grec. » Marx, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure, éd. Jacques Monnier, Bordeaux, Ducros, 1970, p. 246. Marx ne fait que reprendre ici une intuition de Winckelmann, Histoire de l’art dans l’antiquité, Paris, Librairie Générale Française, 2005, p. 265.
17- Une scolie à la première des Maximes capitales précise que, selon Épicure, les dieux « sont discernés non par les sens mais par l’esprit. » Diogène d’Œnanda emploie une formule très voisine à propos des images de l’absent que sa mère voit en songe (Geneviève Rodis-Lewis, Épicure et son école, Paris, Gallimard, « Idées » p. 151-152). L’image des dieux épicuriens évoque ainsi l’empreinte d’une absence.
18- Pline, Histoire naturelle, XXXV, 43. L’importance de ce thème dans l’art néoclassique a d’abord été mise en évidence par l’article de Robert Rosenblum, « The Origin of Painting : a problem in the iconography of romantic classicism », The Art Bulletin, déc. 1957, p. 279-290. On lira également Pierre Georgel et Anne-Marie Lecoq, « L’ombre de Polémon », in La peinture dans la peinture, Paris, Adam Biro, 1987, p. 100-103 ; et E. H. Gombrich, Ombres portées : leur représentation dans l’art occidental, Paris, Gallimard, 1996, p 41 sq.
19- R. Rosenblum, l’Art au XVIIIe siècle. Transformations et mutations,  n. 52 p. 209-210. Dans son article sur « Des Illustrations de poèmes et des silhouettes de John Flaxman », August Schlegel compare semblablement les silhouettes de Flaxman aux figures des vases grecs : « Les silhouettes de Flaxman ne rappellent rien autant que les images sur les vases grecs (appelés autrefois étruriens). » (op. cit. p. 183).
20- On remarquera à ce propos que ce n’est pas la couleur pure qui est « barbare » (celle-ci est en effet susceptible d’une détermination formelle, puisque Euler a montré que « les couleurs sont des vibrations (pulsus) de l’éther se succédant à intervalles égaux. », (§ 14 ; cette indication se trouve reprise et développée au § 51), mais plutôt le mélange des couleurs, le bariolage criard, cette « poikilia » que, dès le commencement de la philosophie, condamnait fermement Platon (qui appréciait lui aussi les figures dessinées des Égyptiens). Même idée chez Hume dans The Standard of Taste, 1757 (Vrin, deuxième partie, p. 91-92) : « Une espèce de beauté qui, parce qu’elle se peint dans des couleurs riantes et superficielles, plaît au premier abord... Le plus grossier des barbouillages comporte un certain lustre de couleurs.... qui affecteraient de la plus grande admiration l’esprit d’un paysan ou d’un Indien. »
21- Kant, Œuvres philosophiques, « Des prolégomènes aux écrits de 1791 », Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1985, p. 287.
22- On trouve en effet dans la troisième Critique un éloge esthétique de la naïveté, « qui correspond à une manifestation de la franchise originellement naturelle à l’humanité contre l’art de feindre devenu seconde nature » : § 54 ; au § 22, « Remarque générale sur la première section de l’Analytique », Kant remarquait déjà que « ce avec quoi l’imagination peut jouer naïvement — ungesucht, sans affectation, sans faire de manières — et d’une manière qui est conforme à une fin, est pour nous toujours nouveau et l’on ne se fatigue pas de le regarder ». La naïveté serait ainsi « la caractéristique de l’esthéticien heureux » — selon la formule de Baumgarten — qui est l’homme de l’admiration, cet étonnement qui ne cesse pas avec la disparition de la nouveauté : § 29, remarque générale.
23- Religion, I, § 3, note sur les Indiens de l’Athabasca et les Indiens Côtes de Chien qui n’ont d’autre fin que le carnage : Kant , Œuvres complètes, t. III : « Les derniers écrits », Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, p. 46, note.
24- Geneviève Monnier, article « Dessin » in Encyclopædia Universalis.
25- Le XVIIIe siècle hésite entre « dessein » et « dessin » jusqu’à ce que l’orthographe « dessin » soit définitivement enregistrée en 1798 par le Dictionnaire de l’Académie. Dans un texte rédigé dès 1752 pour servir d’avertissement aux Réflexions sur quelques causes de l’état présent de la peinture en France et sur les beaux-arts, publiées en 1746, Lafont de Saint-Yenne se justifie pour avoir « hasardé un changement dans l’orthographe du mot dessein qui a deux significations fort différentes. Il est employé pour exprimer Projet, Intention, Idée d’une action qu’on se propose » mais encore « pour désigner l’une des trois parties de la peinture » ; dans le permier cas, propose l’auteur, on orthographiera « dessein », dans le second, « dessin » ( La Font de Saint Yenne, Œuvre critique, éd. Etienne Jodelet, ENSBA, 2001, p. 132 ;  voir aussi Annie Becq, Genèse de l’esthétique française moderne, 1680-1814, Paris, Albin Michel, 1994, p. 67 et note 97).
26- § 51, « De la division des beaux-arts » : « Si nous voulons diviser les beaux-arts, nous ne saurions choisir, du moins à titre d’essai, un principe plus commode, que l’analogie de l’art avec la forme de l’expression dont usent les hommes en parlant afin de se communiquer aussi parfaitement que possible les uns aux autres non seulement leurs concepts, mais aussi leurs sensations. » (Œuvres philosophiques, « Pléiade », II, p. 1105.
27- Condillac, Essai sur l’origine des connaissances humaines, précédé de L’Archéologie du frivole par Jacques Derrida, Auvers-sur-Oise, Galilée, 1973 ; respectivement p. 194 sq, p. 210 sq, p. 216 sq et p. 252.
28- Note du paragraphe 127, op. cit. p. 252. Sur la stylisation progressive de l’écriture selon Warburton, du dessin pictographique en passant par le schéma hiéroglyphique jusqu’à l’idéogramme chinois, on lira Jacques Derrida, De la grammatologie, Minuit, 1967, p. 401-402.
29- C’est ainsi que l’on peut tolérer le recours à l’attrait, selon Kant, pour intéresser le barbare aux leçons de la civilisation : « On peut au demeurant ajouter encore à la beauté des attraits pour intéresser de surcroît l’esprit par la représentation de l’objet, en plus de la satisfaction pure et simple, et pour faire ainsi valoir le goût et sa culture, tout particulièrement quand il est encore grossier et non exercé. » (§ 14).
30- Diderot, Lettre sur les sourds et muets, à l’usage de ceux qui entendent et qui parlent, in Diderot Studies VII, ed. Otis Fellows, Genève, Droz, 1965 ; successivement p. 70 et p. 72.
31- Pommier, Édouard, « La Notion de grâce chez Winckelmann », dans Winckelmann : la naissance de l’histoire de l’art à l’époque des Lumières, Actes du cycle des conférences prononcées à l’Auditorium du Louvre du 11 décembre 1989 au 12 février 1990, sous la direction d’Édouard Pommier, La Documentation française, Paris, 1991, p. 58.
32- Kant, Essai sur les maladies de la tête, trad. Monique David-Ménard, Paris, Flammarion, GF, 1990, p. 62-63 : « Lorsqu’au réveil nous reposons, négligemment et doucement distraits, notre imagination dessine des formes humaines à partir des figures irrégulières des rideaux du lit, par exemple, ou des taches d’un mur tout proche ; elle le fait d’une manière fort agréable, et nous dissipons l’hallucination à l’instant où nous le voulons. ». Pour Les Rêves d’un visionnaire..., on se reportera à Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, t. I, note de la p. 561 : « Quand, après avoir dormi, on regarde, dans un état de bien-être proche de l’assoupissement et avec des yeux perdus dans le vague, les divers fils des rideaux du lit ou de la literie ou les petites taches d’un mur proche, on les transforme aisément en figures représentant des visages humains et autres choses semblables. »
33- La rose (« Soit cette rose que je vois... ») du § 8 devient en effet, au § 33, une tulipe : « Seul le jugement par lequel je déclare belle une tulipe singulière donnée, c’est-à-dire par lequel je trouve que la satisfaction que j’en retire est universelle, est le jugement de goût. »