Jacques Darriulat

 

INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE ESTHETIQUE

 

 

Accueil

Introduction à la philosophie esthétique


     

 

 

 

 

ANTIQUITE

ANTIQUITE TARDIVE

MOYEN AGE

RENAISSANCE

PHILOSOPHIE MODERNE

1- Révolution copernicienne

2- Descartes

3- Leibniz

4- Querelle des Anciens et des Modernes

5- La révolution esthétique

6- De l'Académie au Salon

7- L'Esthétique des Lumières

8- Bouhours, Dubos

9- Baumgarten

10- Burke

11- Rousseau

12- Herder

13- Lessing, Schiller

14- Kant

a- Introduction à la Faculté de juger

b- Analytique du beau

c- Analytique du sublime

d- Art et vie de Platon à Kant

15- L'invention du musée

PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

Mis en ligne le 29 octobre 2007

 

Kant. L’Analytique du Beau

 

            Il y a quelque paradoxe à procéder à l’analyse intellectuelle du sentiment de beau, c'est-à-dire de la faculté de juger esthétique ou bien encore, selon l’expression courante au XVIIIe siècle, du goût. La réflexion critique commence en effet par une analyse des concepts (« théorie des éléments »), que ce soit dans le domaine spéculatif ou dans le domaine pratique, analyse que Kant compare volontiers à l’analyse chimique qui permet de résoudre le composé en ses corps purs, ou simples. Cependant, l’analyse est une opération de l’entendement, qui limite et définit, tandis que le sentiment du beau est immédiat, éprouvé naïvement dans le moment de la rencontre et sans qu’il soit besoin de passer par une quelconque démonstration. En outre, l’entendement, par la synthèse de la sensation qui s’effectue dans la forme de la catégorie au moyen du schématisme, pose ses représentations dans l’objectivité, et détermine ainsi la forme de l’objet de la connaissance ; inversement, le sentiment esthétique demeure, selon Kant, nécessairement subjectif, et ne saurait donc être objectivé par la synthèse catégoriale. Il apparaît ainsi qu’une analytique du sentiment esthétique est fort problématique et que l’entendement, qui ne peut penser que dans la forme de la catégorie, fera nécessairement violence au "je ne sais quoi" (Bouhours) du sentiment esthétique. Comment en effet conceptualiser le sentiment du beau à propos duquel Kant s’apprête précisément à démontrer qu’il plaît nécessairement sans concept (modalité)? C’est le statut intermédiaire, entre Nature et Liberté, de la troisième Critique qui rend nécessairement inadéquat l’usage des concepts de l’entendement. Pourtant, la table des catégories structure l’entendement humain, et il ne nous est nullement possible de penser en dehors de ce cadre. Il nous faut donc nous résigner à penser le beau sans pouvoir vraiment le connaître : en suivant le fil de la table des catégories — mais quelle autre voie pourrions-nous suivre? — nous développerons une réflexion à l’occasion du sentiment esthétique, nous ne parviendrons jamais à une connaissance démonstrative et déterminée. Et en effet, le jugement esthétique est réfléchissant, il n’est jamais déterminant, il ne fait que réfléchir une émotion subjective que le choc de la rencontre sensationnelle, ou esthétique, a, par faveur, provoqué.

            Puisqu’il nous faut ici suivre l’ordre pourtant inadéquat de la table des catégories, nous commencerons non par la catégorie de la quantité, qui est première pour le jugement déterminant, mais par la catégorie de la qualité. La quantité mesure le donné sensible (un, plusieurs, tous), et le réduit ainsi à une échelle numérique. La qualité détermine en revanche le degré de présence d’un objet (affirmation, négation, limitation), qu’il soit pur ou empirique. Or, il se trouve que, pour ce qui concerne le sentiment esthétique, le plus problématique, c’est précisément sa présence : sentiment subtil et indicible, il résiste à sa définition conceptuelle ; mais inversement, la beauté, par sa splendeur, impose le rayonnement de sa présence. Le physicien ne doute pas qu’il y a une nature, et son premier souci est de la mesurer et de la nombrer. Aussi le jugement déterminant spéculatif commence-t-il par le moment de la quantité. Inversement, l’esthéticien s’interroge sur l’inobjectivable sentiment esthétique d’une part, et sur l’irrésistible manifestation de la beauté, d’autre part. Aussi le jugement réfléchissant esthétique doit-il commencer son analyse par le moment de la qualité. Puis viendront, selon la logique de la table des catégories définie, d’après Aristote, dans la première Critique, les moments de la quantité, de la relation et de la modalité.

            On remarque aussi que la quantité est déterminante pour une théorie de la belle proportion, et que la qualité est seule pertinente pour une esthétique du sentiment. Ou bien encore que la quantité mesure une collection nécessairement homogène, compte non tenu des différences ; inversement, la qualité définit une donnée toujours unique et singulière, irréductible à toute autre.

            Comment pouvons-nous donc penser le sentiment du beau à l’aide des catégories de la qualité? Dans la tradition philosophique, les « qualités » désignent « les aspects sensibles de la perception qui ne consistent pas en déterminations géométriques ou mécaniques » (Lalande). Ce sont donc des impressions sensibles non encore conceptualisées (les « qualités secondes » sont pour la tradition scolastique les impressions produites par l’objet sur chacun des cinq sens), et c’est aussi, bien entendu , parce que Kant pense à ce sens du mot qualité qu’il en fait le premier moment de l’analyse du beau : la beauté se propose d’emblée à notre sensibilité comme une impression, son apparition fait « impression », elle est « impressionnante », et non comme une multiplicité qu’il faut nombrer et mesurer. Parce que le jugement esthétique est un jugement réfléchissant, qui réfère donc le sujet à lui-même plutôt qu’à l’objet, le moment de la qualité définira un état subjectif plutôt qu’un aspect de l’objet lui-même. Kant peut avancer alors que la qualité propre du sentiment du beau, c’est d’être désintéressé. Par « désintéressé », Kant veut dire que le sentiment esthétique n’est pas intéressé par la possession du bel objet, mais seulement par sa contemplation. Le sentiment esthétique est indifférent à l’existence de son objet, puisque sa seule représentation suffit à alimenter la satisfaction. Supposer que la vie n’est qu’un songe n’abolit nullement la beauté du monde, mais en découvre plutôt la valeur de pure représentation. C’est ainsi que lorsque je juge qu’un palais est beau, je ne me préoccupe pas de savoir s’il est agréable à habiter, ni si son propriétaire est contraint d’y faire de dispendieux travaux. De même, lorsque je juge qu’un nu est beau, je ne me préoccupe pas du plaisir érotique qu’il pourrait me procurer, mais seulement de la splendeur de sa pure apparence, c'est-à-dire du seul éclat de sa beauté. Cette analyse qualitative me conduit à distinguer le beau, qui plaît par son pur aspect, par le seul spectacle de son apparence, de l’agréable, qui suscite toujours le désir de s’approprier l’objet, et d’en jouir en le consommant, mais aussi du bien, qui n’est nullement désintéressé (n’aspirant en conséquence à aucune autre fin que lui-même), mais poursuit au contraire l’Idéal rationnel de la liberté. C’est pourquoi Kant distingue entre le sentiment de plaisir, que m’inspire la beauté et la faculté de désirer, qui est en moi la volonté et dont la forme supérieure est la raison pratique elle-même (voir tableau final de l’introduction de la Critique de la faculté de juger). Quand j’éprouve le sentiment de la beauté, je ne désire pas, je jouis seulement d’une pure apparence. Je ne veux donc rien de particulier, je me réjouis seulement d’éprouver intérieurement l’épanouissement d’un certain « sentiment vital » : grâce au spectacle de la beauté, je me sens merveilleusement vivant. Il est donc fort intéressant d’être désintéressé. A l’inverse de ce qu’avance Nietzsche, le désintéressement kantien n’est nullement ascétique. Voir les paragraphes 41 et 42 : « De l’intérêt empirique et de l’intérêt intellectuel concernant le beau ». Il apparaît ainsi que le sentiment du beau marque une sorte de trêve dans la tension presque permanente du vouloir : par delà bien et mal, délivré de tout devoir et de tout but, je goûte le pur plaisir que m’inspire, par sa seule présence phénoménale, l’avènement de la beauté. Il faut même dire que c’est seulement lorsque le trouble du désir, ou du besoin, est satisfait, que je peux seulement bien juger du beau : un homme qui a faim ne s’extasiera guère sur la beauté d’une coupe de fruits, ni un homme qui a froid sur la beauté d’une architecture qui le protégerait de la pluie. Il importe pourtant de distinguer ici entre le désintérêt et l’indifférence : le sentiment esthétique est désintéressé, il n’est nullement indifférent à la venue de la splendeur. Il en ressent au contraire un plaisir intense, par le « sentiment vital qu’on désigne sous le nom du sentiment de plaisir ou de peine » (§ 1). Il y a donc un intérêt esthétique à considérer, en tout désintéressement, la beauté : peut-être même le plus haut intérêt, après l’intérêt moral toutefois (être libre), puisque c’est par le sentiment esthétique que je m’éprouve moi-même comme un vivant, et non comme un mort (être vivant).

            Le moment de la quantité peut se dériver de celui de la qualité. Si en effet le beau n’est pas l’agréable, comme nous venons de le montrer, alors le plaisir qu’il procure peut être goûté par une grande « quantité » d’individus très différents les uns des autres. Chacun s’accorde en effet à reconnaître que l’agréable demeure rigoureusement individuel. Ce qui est agréable pour moi ne l’est pas pour autrui, et tant que le goût est simplement empirique, et non esthétique, on est bien fondé de dire : « A chacun selon son goût ». C’est ainsi que j’admets volontiers que si le vin des Canaries m’est agréable, il ne l’est pas nécessairement à mon voisin (§ 7). Le goût empirique se disperse dans la pluralité des individus. En revanche, le goût esthétique affiche une évidente prétention à l’universalité : j’admets volontiers que vous n’aimiez pas le vin des Canaries, mais je discuterai ferme si vous déclarez, de ce tableau du Corrège (que Kant prend pour l’auteur de L’Ecole d’Athènes), qu’il est un misérable barbouillage. Cette prétention est étonnante, car la beauté est un sentiment qu’on éprouve subjectivement, et non une réalité qu’on démontre objectivement. Seule une démonstration peut avoir valeur universelle et objective. Il faut donc penser que le sentiment du beau a une valeur universelle et subjective, c'est-à-dire qu’il s’agit d’un sentiment qui est tel que, lorsque je l’éprouve, j’ai aussi le sentiment que tous doivent l’éprouver avec moi. Comment cela est-il possible? Le sentiment du beau peut en effet prétendre à l’universalité, selon Kant, bien qu’il ne soit jamais en mesure de faire la preuve de cette universalité (je ne pourrai jamais démontrer que Ver Meer est un immense peintre, je pourrais seulement m’efforcer de vous en persuader), parce qu’il consiste en un libre jeu de facultés qui se trouvent en moi comme en tous mes semblables : l’imagination et l’entendement (§ 9). On aura raison de s’étonner que, dans l’analytique du jugement « esthétique », il ne soit pas ici question de la sensibilité : mais la sensibilité n’est que la réception d’une empreinte et n’est, en tant que telle, qu’un degré inférieur de la vie. Or, le plaisir éprouvé à la beauté provient de ce qu’il m’a fait ressentir la vie qui est en moi : il se réfléchit donc plus intensément par les facultés de l’imagination et de l’entendement, dont le dynamisme et la créativité l’emportent largement sur la simple réceptivité de la sensibilité. Par libre jeu de l’imagination et de l’entendement, Kant entend que l’imagination, à l’occasion de la beauté, se représente une figure qui suggère immédiatement à l’entendement une « idée esthétique » (§ 49, p. 143, et II, 1097), idée qui elle-même peut conduire l’imagination à l’invention d’une nouvelle figure. On voit que l’esthétique de Kant, et quoi qu’en dira plus tard Nietzsche, qui commettra sur ce point de nombreux contresens, est une esthétique active et non passive, créatrice et non seulement réceptive, esthétique du créateur et non du spectateur : le libre jeu de l’imagination et de l’entendement est en vérité l’euphorie créatrice de l’esprit qui ne cesse d’inventer des formes nouvelles en déformant les figures qu’il vient à l’instant ce susciter. Ainsi, ce n’est pas l’œuvre elle-même, qui par sa forme propre, est belle, c’est le jeu euphorique des facultés les plus dynamiques de mon esprit qui me communique le plaisir du sentiment vital. C’est ainsi que les flammes du feu ou les volutes d’un ruisseau coulant entre les pierres (remarque générale à la fin de l’analytique du beau, 83 et II, 1009 ; également Anthropologie, 51 et III, 991-992) peuvent m’absorber dans leur contemplation et m’inspirer un profond plaisir esthétique, bien que ces objets soient sans forme définie. Lorsqu’à l’occasion de la beauté, ce libre jeu fait en moi sa symphonie intérieure, ce que je ressens alors, c’est le pur mouvement de la vie, tel qu’il se réfléchit dans les flammes ou dans l’eau, par les libres associations de mes facultés créatrices : il n’y a rien de proprement individuel dans ce sentiment, et rien ne m’interdit d’assurer qu’il doit être partagé par tout être vivant et intelligent, c'est-à-dire doué d’entendement, comme moi. C’est pourquoi je me persuade que, si mon semblable n’a pas su l’éprouver, c’est seulement parce qu’il n’a pas rencontré l’occasion singulière qui est à l’origine du sentiment, mais nullement parce qu’il lui serait par nature étranger. Cependant l’universalité du sentiment du beau demeure purement subjective et n’est pas susceptible d’une démonstration. L’impression esthétique qu’il procure est donc à la fois universelle et non conceptualisable : « Est beau ce qui plaît universellement sans concept ».

            Selon le moment de la relation, dont la catégorie de la causalité est la plus déterminante dans le champ de la connaissance, le sentiment du beau se distingue encore de tout phénomène objectivement démontrable. Dans le monde physique en effet, tout phénomène est lié par la chaîne des causes et des effets, il résulte d’une cause antécédente et vaut comme une cause efficiente pour un autre phénomène qui sera issu de lui. Dans le monde physique, tout phénomène est un moyen pour la réalisation d’un autre phénomène. Mais dans le monde du sentiment esthétique, la beauté apparaît en quelque sorte comme un phénomène absolu, qui n’a d’autre fin que la pure splendeur de sa manifestation, donc fin en soi et non moyen. Le sentiment du beau n’est pourtant pas dépourvu de finalité, puisqu’il me fait éprouver un très précieux plaisir esthétique par lequel seulement je peux me ressentir vivant ; mais cette finalité est sans fin, elle un jeu de la vie avec elle-même, et tout jeu n’a d’autre fin que lui-même puisque ce n’est plus du jeu quand nous jouons, non pour jouer, mais pour gagner. Dès lors, la finalité sans fin du sentiment esthétique peut se comprendre en deux sens : elle est en premier lieu dans l’émotion ressentie par le sujet, pur plaisir d’inventer, rêverie féconde de l’imagination éclairée par l’intelligence, joie inépuisable de se sentir vivant ; elle est en second lieu dans la libre fantaisie des formes apparentes dans l’objet : le bariolage purement ostentatoire des plumages des perroquets, des colibris et des oiseaux de paradis, pure exubérance de la nature, ou bien l’imprévisible ligne mélodique d’une improvisation musicale (§ 16). Aussi Kant distingue-t-il entre la beauté libre, seule véritable et n’obéissant qu’au pur génie de l’invention, et la beauté adhérente qui est soumise au moins en partie à une fin non esthétique, qui peut être simplement sensible et matérielle (l’architecte ne doit pas seulement construire un bel édifice, mais aussi une maison qui soit habitable) ou bien supra-sensible et morale (la beauté esthétique de l’homme ne peut faire oublier sa destination morale — il doit se rendre libre — sans le dépraver en le réduisant au seul aspect du bel animal) : pour tout ceci, voir le § 16. On remarquera encore que par l’éloge de la beauté libre, Kant libère l’artiste de la contrainte séculaire de la symétrie et de l’eurythmie, et rend possible un art informel de constante invention et de pure créativité : aussi fait-il l’éloge du jardin anglais, qui sait l’art de ménager l’imprévu, « le goût du baroque qui entraîne l’imagination presque jusqu’au grotesque », plutôt que du jardin à la française, dont la régulière symétrie engendre l’ennui plutôt que le sentiment vital (remarque générale de l’analytique du beau, 82 et II, 1007).

            Reste le quatrième et dernier moment de l’analytique du beau, celui de la modalité, dont la catégorie la plus accomplie est celle de la nécessité. Or, il est aisé de comprendre que la nécessité du jugement esthétique se dérive de son universalité. L’agréable, à l’inverse du beau, est contingent et ne dépasse jamais la sphère du sentiment strictement individuel ; en revanche, le sentiment du beau, universel bien que subjectif, doit être nécessairement éprouvé par mon semblable, s’il se trouve du moins inspiré par la même rencontre singulière que celle que je viens d’effectuer moi-même. La nécessité du sentiment esthétique se dérive donc de son universalité, et fonde une communauté subjective dans l’appréciation esthétique, ce qu’on pourrait encore nommer une société de goût. C’est ainsi que l’homme est appelé, selon Kant, à être le membre actif de trois communautés : spéculative, morale et esthétique. La communauté spéculative réunit les hommes par une nécessité d’entendement (faculté de connaître), les structures logiques étant identiques pour tous les êtres humains : sur ce sol, s’édifie une société savante, ou cité universitaire, celle de la République des Lettres ou du Journal des Savants (pour prendre les titres de deux revues célèbres au siècle des Lumières), qui établit l’accord par la rigueur démonstrative, mais qui n’est étrangère ni à la rivalité ni à l’envie. La communauté morale réunit les hommes par la loi de la raison pure, qui est en nous volonté d’autonomie (faculté de désirer) : sur ce sol, s’édifie le règne de la liberté ou la république des fins, qui établit l’accord par la contrainte terrible de la loi morale par laquelle seulement les hommes sont humains, et raisonnables, c'est-à-dire dignes de la destination morale qui fait leur véritable valeur. La société savante, seulement logique, ne sait rien du sentiment et ne semble guère humaine : sa rigidité démonstrative l’appauvrit, et elle semble en-dessous de la richesse qui fait la vie concrète des hommes réels ; la société morale ne connaît que l’héroïsme de la liberté, elle est une communion des saints plutôt qu’une société simplement humaine, et sa sublime grandeur la place bien au-dessus de la réalité de la vie des hommes. Ainsi, la cité universitaire pèche par défaut, la république des libertés par excès. Seule la société esthétique réconcilie les hommes avec eux-mêmes et fonde une communauté qui est véritablement à la mesure de l’homme (sentiment de plaisir) : en échangeant nos impressions esthétiques, en nous persuadant les uns les autres de la vérité de la beauté subjectivement ressentie, mais jamais objectivement conceptualisée, nous communions dans le sentiment de la vie universelle qui nous soulève et nous reconnaissons ainsi également hommes. La libre discussion, non l’âpre dispute, sur la beauté de la rencontre esthétique est encore l’occasion la plus favorable à la naissance de l’amitié entre les hommes. Le sentiment esthétique du beau est ainsi le lieu privilégié où l’homme peut reconnaître son semblable, et se réjouir librement de sa compagnie, sans que cette joie ne soit ternie par la rivalité.